Lors des ateliers de groupe avec des publics peu avertis, le mot « survie » ou « Koh-Lanta » résonnent rapidement dans la bouche des participants quand ils découvrent notre activité. Cette association d’idées est révélatrice d’un fait sociologique intéressant ; de nos jours, interagir directement avec la nature pour un savoir-faire quelconque de la vie quotidienne s’apparente à de la « survie » tant notre rapport au monde a été transfiguré.
Autrement dit et à titre d’exemple, fabriquer un bol en poterie en partant de l’amont du processus, c’est à dire de l’identification de la terre argileuse dans son milieu d’origine jusqu’au modelage apparaît comme un geste de survie. L’argile utilisée n’a pas été achetée dans un magasin ni soigneusement empaquetée dans un plastique estampillé d’un code barres. Nous sommes allés la chercher directement dans la nature. Et c’est ce geste précis qui est associé à la survie.
Alors, pour répondre à cette observation, Le Temps des Savoir-Faire est il un projet de survivalistes ?
Je vous propose de donner une définition de la survie afin de partager un cadre de réflexion cohérent. La survie est un état dans lequel le maintien des besoins primaires (manger, boire, se protéger du froid etc.) est menacé à court terme. Les actions à mener qui procèdent de cet état doivent donc rapidement permettre de retrouver de la stabilité quant à l’assurance de ces besoins vitaux.
En prenant en compte cette définition, les peuples primitifs qui composent encore ce monde ne sont pas en mode « survie ». Pas même les chasseurs cueilleurs qui peuplaient la terre il y a 30 000 ans. Ils n’ont pas été catapultés dans la nature, tout nus, avec pour but de trouver vite à manger pour ne pas dépérir. Ils sont le fruit d’un héritage de millions d’années d’évolution, d’acquisition de connaissances et de fabrication d’outils permettant d’assurer les besoins primaires avec stabilité. Pour approfondir le sujet je vous suggère la lecture de l’ouvrage « Âge de pierre, âge d’abondance » de Marshall Sahlins.
Fabriquer tout soi-même, à l’énergie du corps et avec des matériaux naturels n’a donc rien à voir avec la survie. Quel rapport avec la survie quand nous tressons un joli panier en clématites sauvages au coin de la cheminée, quand nous fabriquons un bracelet en cordes de ronces pour le pur plaisir esthétique de l’ornement, quand nous modelons une théière en poterie, quand nous sculptons une spatule en bois pour cuisiner ?
Nous sommes donc tout sauf des survivalistes. Au contraire, nous voulons montrer la beauté de la vie par la satisfaction procurée par l’association de la découverte de la nature locale à la pratique de savoir-faire artisanaux passionnants.
Il y a néanmoins un atelier dans lequel nous avons délibérément inclus cette notion de survie qui s’intitule « initiation aux savoir-faire primitifs » à travers lequel nous enseignons les connaissances essentielles pour assurer les besoins primaires en situation de survie. Nous avons fait ce choix car l’objectif était d’aiguiser notre connaissance de la nature par le dépouillement du matériel que nous avons l’habitude d’utiliser (une situation de survie se produisant justement par l’absence du matériel de confort habituel). Dans un tel cas de figure, la connaissance affûtée de la nature permettra de compenser le manque de matériel.
Je vous donne un exemple pour bien comprendre.
Se forcer à imaginer un contexte de survie dans le cadre de l’apprentissage de l’allumage d’un feu permet l’acquisition de tout un tas de connaissances. En mode « normal », vous ne vous amusez jamais à allumer un feu dehors sous la pluie. En mode « survie » cette fois, devoir allumer un feu sous la pluie ou avec un sol trempé par une averse récente est tout à fait probable. Mais quel enseignement tire t-on de l’allumage d’un feu par temps humide ? Eh bien dans un contexte semblable, le bois est mouillé alors que le combustible doit être sec. En investiguant, on finit par trouver la solution. Le bois est composé de plusieurs couches avec au centre le duramen. Ce dernier est systématiquement sec, même quand l’arbre est vivant car il n’est pas composé de sève. De plus, étant donné qu’il est situé au cœur du bois, la probabilité que l’eau de pluie ait pénétré jusqu’au duramen est faible. En réalité l’eau investit très souvent uniquement les toutes premières couches. Réfléchir à l’allumage du feu en situation de survie permet donc, entre autres, de découvrir l’existence et les propriétés du duramen ! Chose qui serait restée inconnue si l’on s’était contentés d’allumer un feu en situation de confort dans la cheminée ou sur le barbecue. La contrainte « survie » est donc génératrice de connaissances.
Un autre exemple pour la route ?
Imaginons que vous vous retrouviez perdu en pleine forêt, vous aurez besoin pour survivre de boire de l’eau. Le problème c’est que la seule source d’eau à disposition est une mare devant vous dont l’eau ne vous inspire pas confiance. Vous allez donc devoir la rendre potable en la portant à ébullition. Petit problème, vous n’avez pas de récipient qui permette de recueillir l’eau et de la faire bouillir. Heureusement près de l’eau il y a souvent de l’argile avec laquelle vous allez pouvoir fabriquer une poterie puis la cuire au feu afin de la rendre résistante à la fois au contact de l’eau et des flammes.
Malheureusement, une poterie est humide lors du modelage et nécessite d’être séchée avant d’être cuite pour ne pas provoquer de choc thermique. Le séchage peut durer longtemps, même avec un feu, or le temps est particulièrement limité dans votre cas de figure puisque vous devez vous hydrater à tout prix. La solution consiste à ajouter du sable ou une terre un peu plus grossière à l’argile avant de la modeler afin de rendre le processus de séchage beaucoup plus court et de réduire considérablement le risque de choc thermique. Ainsi, cette solution de la terre cuite devient viable en situation de survie pour rendre l’eau potable. Cette mise en contexte a permis dans cet exemple de comprendre le procédé d’accélération d’une cuisson de céramique et un moyen de minimisation du risque de casse.
Vous comprenez maintenant pourquoi nous organisons cet atelier. L’idée fondamentale derrière ce prétexte de la survie est la connaissance des magnifiques plantes, des champignons et des minéraux qui nous entourent.